C'est
explosif ...
Reconstruction de la centrale
ici ou ailleurs : priorité à la sécurité publique
!
Le document qui suit a été
rédigé par les sapeurs pompiers après leur intervention
lorsque la centrale a explosé, dans la revue Allo 18 de juin 1994
n° 515
Il nous permet aujourd'hui de mieux prendre conscience de l'épouvantable
catastrophe que représenterait un nouvel accident, maintenant que
la centrale n'est plus isolée comme en 1994 mais située
à bout touchant de la plus grande ZAC de France (15 000 habitants
à terme).
"Apocalypse, Beyrouth, Sarajevo, les métaphores ne manquent
pas pour qualifier le spectacle de désolation qui s'offre aux yeux
des premiers intervenants."
C'est le capitaine des pompiers qui l'écrit dans son rapport ci-dessous.
"la scène semble tout droit sortie d'une fiction de fin
du monde".
Ce document pointe deux "aspects
favorables" ayant permis d'éviter le pire :
"1- l'explosion s'est produite de nuit, donc avec une occupation
réduite de la centrale et de son voisinage immédiat.
2- La centrale est située dans une rue en cours d'aménagement
avec une densité de population très inférieure à
la moyenne de la banlieue."
Aujourd'hui si l'explosion se
produisait la nuit, les huit mille riverains du quartier seraient touchés.
Aujourd'hui si l'explosion se produisait le jour, tous les enfants du
quartier seraient touchés.
Aujourd'hui la centrale est située dans une zone avec une densité
de population TRES SUPERIEURE à la moyenne de la banlieue.
ANALYSE (in la revue
Allo 18 de juin 1994 n° 515)
EXPLOSION SUIVIE DE FEU
À LA CENTRALE THERMIQUE DE COURBEVOIE
Le lundi 30 mars 1994 vers 1h30, une explosion d'une rare intensité
perce la quiétude de la nuit et secoue le quartier de la Défense.
Les effets sonores et mécaniques sont perceptibles à
plusieurs kilomètres à la ronde. L'origine de la déflagration
se situe au cur de la centrale thermique CLIMADEF, installée
5 rue de Caen à Courbevoie (Hauts de Seine) au pied du quartier
d'affaire.
1- Description des
lieux
Véritable cur thermique l'installation
fournie l'eau chaude et l'air conditionné à une grande partie
des immeubles de la Défense.
Construction de forme pyramidale, l'usine est entièrement constituée
d'une structure métallique reposant sur une dalle et des piliers
en béton. Elle est recouverte sur toutes ses faces d'ardoises et
de tôles en zinc. Construite sur 9 niveaux dont 2 en sous-sol, elle
est accessible au rez-de-chaussée sur tout son périmètre.
Les rideaux métalliques qui la ceinturent sont baissés en
dehors des heures ouvrables.
Les 2 niveaux du sous-sol et le rez-de-chaussée
regroupent sur des surfaces non cloisonnées 5 chaudières
dont 2 fonctionnent au gaz et 3 au charbon, une zone de stockage pour
le charbon et diverses matières.
Les étages comportent différentes salles de commande et
de contrôle séparées par des cloisons légères.
Les circulations horizontales et verticales sont réalisées
par des passerelles et escaliers métalliques. Le gaz est acheminé
jusqu'aux chaudières par une conduite de 300 mm, sous 4 bars de
pression, circulant en sous-sol. Le courant électrique est distribué
dans les locaux en 220 et 380 volts et l'éclairage est assuré
par des tubes fluorescents. Les moyens de secours de l'établissement
comportent des extincteurs appropriés aux risques, un système
d'extinction automatique au halon et des robinets d'incendie armés.
2 - Appel des secours
Le premier appel parvient au centre de coordination
des opérations et des transmissions à 01h31. Les nombreux
appels reçus ensuite laissent présager un sinistre important,
les procédures complément d'anticipation, renfort incendie
et plan rouge sont déclenchées successivement.
3 - Situation à
l'arrivée des secours
Apocalypse, Beyrouth, Sarajevo, les métaphores
ne manquent pas pour qualifier le spectacle de désolation qui s'offre
aux yeux des premiers intervenants.
L'usine présente un trou béant
par lequel s'est échappé le souffle de l'explosion.
Des pavillons situés à quelques mètres ont été
dévastés par la déflagration. Plus loin, un foyer
de travailleurs migrants et un immeuble d'habitation ont été
également endommagés. Les ardoises de la toiture se sont
fichées verticalement dans le sol comme autant de projectiles mortels
alors que les arbres ont été déchiquetés en
leur milieu. Des véhicules stationnés à proximité
ont été retournés et écrasés par le
souffle.
A 1h37 lorsque le départ normal de Nanterre se présente,
2 importants foyers d'incendies sont visibles et des habitants du quartier,
choqués, déambulent dans les rues.
Une reconnaissance rapide des lieux permet à l'officier de permanence
de percevoir la violence et l'ampleur du drame. Une partie de la centrale
Thermique est en feu, et une importante fuite de gaz enflammée
menace le voisinage.
Un incendie s'est également déclaré
dans un immeuble de bureau préfabriqué de 400m2, avec des
risques de propagation à un pavillon contigu.
De nombreuses personnes hagardes et affolées, à la recherche
des proches ou de voisins, se manifestent auprès des premiers intervenants.
Parmi elles un père de famille dont la fillette est restée
prisonnière des décombres de leur pavillon.
Le commandant des opérations de secours doit donc engager simultanément
ses personnels sur plusieurs fronts :
1- recherche et sauvetage des victimes ensevelies
2- lutte contre les foyers d'incendie
3- soins d'urgence aux blessés
La présentation rapide de la voiture
PC sur les lieux permet d'établir sans délai une chaîne
de commandement opérationnelle de nature à favoriser et
coordonner l'engagement des moyens.
L'étendue du sinistre nécessite la création de deux
secteurs opérationnels aux ordres d'un officier.
Le secteur EST, englobe le feu de l'ensemble de bureau et toute la partie
située sur de Caen. Le secteur OUEST prend en compte le foyer principal
côté rue d'Alençon.
L'arrivée des engins du renfort incendie permet d'attaquer d'emblée
les deux foyers avec des moyens importants.
Sept grosses lances sont établies, quatre luttent contre le foyer
intéressant la centrale, les trois autres manoeuvrent sur le feu
de bureaux.
La première ambulance de réanimation qui se présente
reçoit pour mission de s'occuper de la fillette ensevelie. Rapidement
dégagée, les premiers gestes réalisés permettront
de la réanimer et de la maintenir en vie. Malheureusement elle
décèdera 48 heures plus tard à l'hôpital. Le
plan rouge monte en puissance. L'emplacement d'un poste médical
avancé est trouvé, il s'agit d'un restaurant situé
angle rue Berthelot et rue du Mans.
Il est aménagé et équipé aux ordres du directeur
des secours médicaux.
Le ramassage s'organise. Il couvre une zone très étendue.
Le flux des blessés est progressif et les structures médicales
sont suffisantes.
A 2h10 après une reconnaissance minutieuse
avec l'officier de permanence, le lieutenant-colonel commandant le 3ème
groupement d'incendie prend le commandement des opérations de secours.
Il confirme l'organisation déjà établie et dirige
les opérations en liaison directe avec les chefs de secteurs et
le directeur des secours médicaux.
Parallèlement, la Police a mis en place un dispositif très
important qui lui permet de boucler les rues, facilitant ainsi l'accès
des secours et évitant les actes de pillage.
Les opérations de lutte contre l'incendie, les missions de sauvetage-déblaiement
et les soins aux victimes sont menés conjointement et avec efficacité.
Le recensement des personnels de la CLIMADEF permet d'établir qu'un
ouvrier manque à l'appel.
Les reconnaissances lointaines dans les bâtiments se poursuivent,
une équipe cynophile est demandée afin de les compléter.
A l'intérieur de la centrale dévastée une
fosse à charbon est remplie d'eau suite à une rupture de
canalisation. Son exploration nécessitera l'engagement des spécialistes
en intervention subaquatique et du directeur de plongée Brigade.
A 14h18 le COS passe le message feu éteint ; le bilan provisoire
s'établie à 2 blessés graves, soixante état
léger et une vingtaine d'impliqués.
Les reconnaissances à l'intérieur
de la centrale se poursuivent et seront de longue durée. La masse
importante des structures effondrées leur enchevêtrement
et la grande profondeur nécessitent des moyens de recherche lourds
et spécialisés. Un ouvrier manque toujours à l'appel.
Son corps sera retrouvé vers 13h30 au milieu des gravats amoncelés
au niveau du 2eme sous sol à proximité des pupitres de commande
qu'il était chargé de contrôler.
L'intervention se termine à 16h 00,
le déblai mécanique étant laissé à
la charge d'une entreprise privée.
Capitaine Philippe LAVOIL
Photos Bernard LEBARS
Encadré 1 :
DIFFICULTEES RENCONTREES
1- imprécision des renseignements
fournis lors des appels sur le 18 (adresses différentes quelques
fois fort éloignées).
2- Etendue de la zone dévastée qui a rendu les reconnaissances
longues et difficiles
3- Une importante fuite de gaz enflammée qui a considérablement
gêné les secours
4- La présence de nombreux produits toxiques dans la centrale
5- L'enchevêtrement de structures métalliques instables qui
n'a pas facilité les recherches.
6- Le recensement précis des habitants du quartier rendu difficile
par la présence de nombreux occupants de passage
ASPECTS FAVORABLES
1- l'explosion s'est produite de nuit,
donc avec une occupation réduite de la centrale et de son voisinage
immédiat.
2- La centrale est située dans une rue en cours d'aménagement
avec une densité de population très inférieure à
la moyenne de la banlieue.
3- Le bouclage rapide de la zone par la police a facilité l'action
des secours
LA REGLEMENTATION EN VIGUEUR
Le permis de construire de l'usine date de
1965 et la 1ere autorisation d'exploitation de 1966 ; l'activité
de la centrale est soumise à autorisation et le dernier arrêté
préfectoral la délivrant date du 21 octobre 1993.
MOYENS ENGAGES
210 sapeurs pompiers
50 véhicules
Encadré 2 :
AMBIANCE...
1h29, ce mercredi
30 mars 1994, la catastrophe se joue. Quelques instants plus tard, c’est
l’agitation au Centre de Coordination des opérations et des Transmissions,
(CCOT), les appels n’en finissent plus. « Il y a eu une grande explosion,
les vitres de mon appartement sont tombées. C’est tout près, je ne sais
pas où, c’est peut-être un avion ». Plusieurs centaines d’appels parviendront
au 18. Il s’avère très difficile de localiser les lieux du sinistre. En
fonction des différents appels, 3 zones d’où proviennent de « nombreux
appels » sont déterminées.La déflagration
a été ressentie jusque dans le centre de la capitale.
Dans les rues de Courbevoie et de la Défense, c'est l'effervescence,
une multitude de "camions rouges" dans le dédale des
rues de ce pôle des affaires parisiennes. Après quelques
hésitations, au fur et à mesure des renseignements glanés
par radio, les engins convergent vers l'adresse exacte. Les vitres
sont brisées, les riverains hébétés, en
pyjama sur les trottoirs, guident les premiers secours. Personne ne comprend
alors ce qui se passe. Cette foule dans les rues à cette heure
matinale et dans ces tenues, la scène semble tout droit sortie
d'une fiction de fin du monde. Enfin au détour d'une rue se
distingue un foyer et une masse informe au milieu d'un terrain dépouillé.
Dans le café où est établi le PMA (poste médical
avancé), l'atmosphère est plus réservée, 4
brancards sont alignés, encadré par les médecins.
Dans un coin de la salle, un jeune homme, visiblement très choqué
est prostré sur sa chaise, sa fiche de tri autour du coup. "j'ai
vu un grand éclair comme de l'électricité, je me
suis réveillé et j'ai vu la maison détruite".
Bientôt une deuxième victime est sortie des décombres
alors que l'incendie semble être circonscrit.
L'homme que les sauveteurs viennent de mettre à jour a été
surpris dans son sommeil et s'est retrouvé enseveli dans la maison
qu'il "squatait". L'homme ne parle pas français, malgrè
ce handicap les sauveteurs lui parlent sans relâche : "ne bougez
pas, on s'occupe de tout". Il est tout à fait conscient et
s'agit dans tous les sens. Torse nu il est encore emmitouflé dans
sa couverture. Hissé sur le brancard catastrophe, l'homme comprend
qu'il revient de loin. Il aura fallu toute la perspicacité des
sapeurs pompiers pour le découvrir, seuls deux doigts dépassaient
des gravats.
Il est 8h00, quand un responsable de la société de transport
GEFCO accueille un a un ses employés. Ils contemplent stupéfaits
la façade ravagée de l'immeuble de bureaux situé
face à la centrale thermique.
En début de matinée, le ministre de l'intérieur,
Monsieur Charles PASQUA accompagné du préfet et Général
FAUCHIER, vient se rendre compte de l'étendue du sinistre. Les
recherches quant à elles se poursuivront dans la journée
avant que ne soit découvert le corps sans vie de l'ouvrier manquant.
"Il semblerait que les ouvriers aient repéré une fuite
dans une conduite de gaz qui passait sous la centrale. Ils étaient
en train de l'isoler, de tout couper lorsque cela s'est produit"
déclare un ingénieur de la société.
Stéphane GAUTIER
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